Histoires Industrielles

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Le sujet n'apparaît vraiment dans l'écrit – journaux, documents administratifs...- qu'avec la guerre de 1914-1918. Auparavant, les guerres de la Prusse successivement avec le Danemark, l'Autriche, la France en 1970-1971 ne donnent pas lieu à des commentaires particuliers concernant l'industrie gazière, même si, à l'égal d'autres domaines, elle subit çà et là quelques dommages. Seule illustration gazière de cette époque : le départ avec succès de Paris, assiégé par les Prussiens, en ballon gonflé au gaz d'éclairage, de Léon Gambetta le 7 octobre 1870 à destination de Tours pour réorganiser la défense nationale.

 

 


L'ACTIVITÉ GAZIÈRE ET LA CONCURRENCE

5 - Un nouvel acteur entre en scène

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 Il s'agit bien sûr de l'électricité.

 
 Son irruption dans les domaines couverts par le gaz depuis plus d'un demi-siècle apparaît certaine dès la fin des années 1870. En effet, l'essai d'éclairage public électrique par arc (bougies Jablochkoff) effectué avenue de l'Opéra à Paris en 1878 et la réalisation la même année de la première lampe électrique à incandescence par Thomas Edison ne laissent aucun doute à ce sujet.
 
 Cette perspective entraine en fait une double réaction.
 D'abord, celle des professionnels gaziers résolus à opposer une défense acharnée, domaine par domaine, face à l'électricité, qu'il s'agisse d'usages domestiques, professionnels ou d'éclairage public.
 Ensuite, et très vite, l'intérêt des principales sociétés gazières de s'adjoindre une nouvelle activité d'avenir, très différente de celle ayant généré leur évidente prospérité, mais néanmoins étonnement proche d'elle par bien des aspects. Il s'agit là aussi, comme pour le gaz, d'une activité très capitalistique, nécessitant l'occupation du domaine public, donc des concessions, la conclusion d'abonnements de particuliers, de professionnels, mais aussi d'autorités et de services publics.
 
Que chacun creuse donc son sillon pour le plus grand bien de la Société !
 
 Les électriciens avaient tout à imaginer, à décider et à construire. Quel système électrique aurait le plus de chance d'aboutir assez rapidement, mais aussi durablement, à une activité industrielle et de services effective à des coûts raisonnables ? Le courant continu ? L'alternatif monophasé ou diphasé 3 fils ou 5 fils  ou triphasé ?
 Tous les choix furent explorés avant que l'alternatif triphasé ne s'impose comme le meilleur compromis d'ensemble. Il faut savoir qu'à Paris le monophasé 3000 volts a perduré jusqu'aux années 1980 et le diphasé 5 fils jusque dans les années 1960 (réseau dit des «fortifs»).
Il fallait parallèlement susciter la création et la survie d'une industrie de production de matériels électriques, qu'il s'agisse de matériels lourds de production et de réseaux - turbines hydrauliques ou à vapeur, dynamos, alternateurs, transformateurs, câbles - ou de matériels d'installations intérieures. Il fallait surtout se placer solidement et se développer sur le marché de l'énergie, face essentiellement aux gaziers qui n'avaient pas l'intention de rendre facilement les armes.
 Le gros de la bataille dura une cinquantaine d'années avant que le quasi « tout gaz»  ne se transforme en un équilibre plutôt favorable à l'électricité.
 
 Bien plus tard, en fait à partir des années 1960, l'arrivée en grandes quantités du gaz naturel en France et, plus généralement en Europe, a donné une nouvelle modernité à l'industrie gazière et conforté ses domaines de compétitivité.
 
 Nous reviendrons plus en détail, dans un prochain article, sur ce combat de 50 ans gaz/électricité.
 

L'ACTIVITÉ GAZIÈRE ET LA CONCURRENCE

2- La mise en ordre

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Après le temps des pionniers, dont nous avons parlé précédemment, qui se caractérise dans toutes les disciplines par l'exploration du champ des aventures possibles et les excès consécutifs, vient nécessairement celui de la mise en ordre.

Ce fut le cas par la publication de deux textes remarquables, à savoir :

  • l'arrêté préfectoral du 30 septembre 1822 traitant de la délimitation des zones de chaque compagnie à Paris ;

  • l'ordonnance royale du 20 août 1824 et le règlement annexé, d'application générale en France, traitant de l'ensemble des questions importantes posées par le développement de l'industrie du gaz en France. 

 Dorénavant chacun sait où il habite. Finis donc les «  écarts de conduites » chez le voisin.

 Toutes les entreprises productrices et distributrices de gaz savent ce qu'elles peuvent légalement faire et, dans une large mesure, comment. Elles savent aussi ce qu'elles sont tenues de faire :

  • alimenter les clients dans les meilleurs délais compatibles avec le déploiement des réseaux, le cas échéant en anticipant avec du « gaz porté » ;

  •  mettre en place l'éclairage public des rues selon les plannings fixés par les autorités municipales ;

  • ne pas déroger au règlement de 1824 dont la bonne application est l'objet de contrôles de plus en plus attentifs de ces mêmes autorités.

 Parallèlement, les éléments économiques et financiers de la concurrence se mettent progressivement en place. Les traités municipalités /entreprises comportent de plus en plus souvent des tarifs maximaux pour les différents types de fournitures : publiques, privées et surtout d'éclairage public. Mais rien n'empèche une entreprise bien gérée et sachant tirer de bons revenus de la vente de ses sous-produits d'afficher des prix notablement plus bas, ce qui est susceptible de la placer excellemment sur un marché en rapide extension en surface et en profondeur. Or, il est clair que, dans ces conditions, toutes les entreprises ne survivront pas....Trente ans plus tard ( disons dans les années 1850 / 1860 ), le visage de l'industrie du gaz en France aura bien changé et nous en reparlerons dans un prochain article.


 

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7- Les outils de la communication

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Faire connaître le gaz, son utilité et ses possibilités, faire connaître sa Société et illustrer ses qualités par tous moyens disponibles figuraient parmi les préoccupations essentielles des entreprises gazières dès les débuts de cette industrie.

Il s'agissait d'abord, dans les premiers temps, de conquérir d'une manière ou d'une autre les clients les plus intéressants, publics et privés, et du même coup de bien se placer auprès des municipalités pour obtenir le(s) contrat(s) de l'éclairage public, gage d'une implantation durable. La notion même de « publicité » n'existant pas encore, ce travail de persuasion est pour l'essentiel assuré par la direction des Sociétés par démarches directes, mais aussi par « proximité » dans les clubs mondains des villes. Les décisions pratiques les plus importantes sont alors publiées sous forme « d'annonces », le plus souvent sans ornements, dans les journaux locaux. Ceci durera sans grand changement jusqu'aux années 1870.

C'est alors qu'apparaît Jules Chéret, peintre et décorateur familier de la lithographie, mais aussi féru de commerce et de psychologie. Il estime que de rendre les œuvres picturales accessibles à l'ensemble de la population par affichage massif est hautement souhaitable. L'émotion n'est alors plus exclusivement esthétique, mais relève aussi de l'envie et du désir accessible au plus grand nombre. L'affiche publicitaire vient ainsi de naître et les sociétés gazières le comprennent immédiatement : elles seront des clientes fidèles et même motrices pour le siècle qui suit où l'affiche, qui connaît de remarquables évolutions, est le vecteur principal de la publicité.

A l'affiche viennent se joindre les films publicitaires et les messages radio régulièrement répétés dès les années 1950, puis les spots télévisés dès la fin des années1960. Les acteurs gaziers seront parmi les premiers à les utiliser.

 A cela se sont rajoutées des initiatives originales de l'industrie gazière :

  • Ne perdre aucune occasion de contact par des moyens et des messages ciblés : distribution de buvards aux écoliers, de calendriers dans les locaux d'exposition, de tracts insérés dans les correspondances de gestion courante, comme les factures adressées aux abonnés ;
  • Le recours à des « conseillères ménagères » dès les années1900/1910, chargées de faire des démonstrations culinaires à de petits groupes d'auditrices dans les magasins d'exposition garnis des appareils les plus alléchants ;
  • La mise en commun de forces commerciales des gaziers par la création en 1927 de la Société de Développement de L'Industie Gazière (S.D.I.G.) qui ne s'est pas contentée de « professionnaliser » démarches et outils, mais a créé des « événements » comme le concours de la meilleure « Fée du logis ».

 Oui, décidément, le marketing, comme on le nomme aujourd'hui, était bien dans l'ADN des gaziers dès l'origine.

 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 

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4 - La maturité

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 Le traité de concession du 19 juillet 1855 de la Ville de Paris à la Compagnie Parisienne d'Eclairage et de Chauffage par le Gaz verra ses dispositions varier peu durant les 50 années de son application. Il s'agit là d'une sorte de miracle, tant les récriminations de la Ville et de la presse furent fréquentes et dures, avec procédures à l'appui.
 
 Ce traité de concession comportait trois clauses essentielles :
 
  • La Ville devient propriétaire des canalisations, sans aucune indemnité, à la fin de la concession ;
  • Elle est intéressée aux bénéfices ;
  • «les progrès de la science» doivent systématiquement être intégrés à sa pratique par le concessionnaire, pour tendre à la meilleure performance économique et aux prix de vente les plus bas.
 
 C'est cette dernière clause qui fut à l'origine de la quasi totalité des litiges avec la Ville. En réalité, les prix de vente du gaz à Paris demeurèrent étonnement stables sur toute la durée de la concession, sans que l'on sache précisément la part de responsabilité  de chaque facteur intervenant dans la formation de ce prix.
 
 Quoi qu'il en soit, ce demi-siècle a connu un développement considérable de l'industrie du gaz en France et, en particulier à Paris, où la longueur des réseaux a été multipliée par 5 et les ventes par 8. Les meilleures compagnies gazières sont d'ailleurs les vedettes de la Bourse des valeurs.
 
 L'éclairage reste, de loin, la première utilisation et la première source de revenus des compagnies gazières, mais leurs ingénieurs s'intéressent aussi, bien sûr, aux applications caloriques du gaz et mettent au point des appareils de cuisson, comme le four-rôtissoire « le Merveilleux » en 1886, des appareils de chauffage et de production d'eau chaude.
 
 Toutes ces innovations sont présentées dans les expositions universelles qui se multiplient dans cette période et constituent les premières offres au public du «confort moderne»  qui allie utilité et esthétique.
 
 Le gaz triomphe :
 
  • Il y a, par exemple, quelques 60 000 réverbères à gaz à Paris en 1900 ;
  • L'exposition universelle de 1889 est intégralement éclairée au gaz et de si belle manière face aux représentants du monde entier.
 
 Mais un redoutable concurrent s'apprète à entrer réellement en scène : l'électricité. Nous en parlerons prochainement.
 

 

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1- Les Pionniers

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Il s'agissait alors d'une activité naissante qui a l'ambition de donner enfin l'éclairage au monde, si ce n'est la lumière .
Ses manifestations sont, sans précédent, connues du public et des autorités, avec des impacts à la fois publics et privés, nécessitant des investissements très importants à l'aune de cette époque et engageant le domaine public .
 
Quel terrain d'aventure pour des candidats résolus ! Bien entendu, un certain nombre s'y engagent, entrant vite en collision avec les voisins. L'enjeu c'est le client intéressant - salles de spectacle, galeries, grands magasins et cafés, bâtiments publics - pour lequel les compétiteurs sont prêts à bien des exploits et même des folies. La rue comporte déjà une canalisation de mon voisin concurrent, eh bien, je vais tout de même y poser la mienne, même si la gène infligée aux riverains se prolonge anormalement . J'ai fait un "super client", mais je n'ai pas de réseau à proximité, eh bien, je vais le desservir en "gaz porté" et on verra plus tard !
 
Concernant Paris, les autorités se rendent compte rapidement que, pour éviter que la jungle ne s'installe en ville, il convient de prendre des mesures immédiates de sauvegarde suivies, assez vite, d'un règlement élaboré couvrant l'ensemble des questions soulevées par cette nouvelle activité. Ce seront :
 
  • d'abord, l'arrêté préfectoral du 30 septembre 1822, traitant de la délimitation des zones de chaque compagnie à Paris;
  • surtout, l'Ordonnance Royale du 20 août 1824 et le règlement annexé, d'application générale en France, qui traitent de l'ensemble des questions importantes posées par le développement de cette industrie, qu'il s'agisse d'usines, de canalisations, de branchements, d'occupation du domaine public, de sécurité publique, d'installations d'éclairage public . Cette réglementation sera tenue à jour en fonction de l'expérience acquise.

 

Fondée sur de telles bases juridiques et pratiques, l'industrie du gaz peut alors accélérer son développement de manière rationnelle et sécurisée, avec une pratique plus "actuelle" de la concurrence, dont nous reparlerons.


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6 - Gaz/Electricité le combat vital

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Le domaine essentiel d'affrontement de l'électricité et du gaz d'éclairage a justement été dans un premier temps l'éclairage et d'abord l'éclairage privé, qu'il s'agisse de locaux d'habitation ou professionnels. L'électricité y a pénétré progressivement, mais résolument. Il n'était pas rare de rencontrer dès 1900 dans les habitations bourgeoises un éclairage de base au gaz et un éclairage électrique décoratif, utilisé uniquement les jours de fête ou de réception, en raison de son prix nettement plus élevé. Malgré cela, dès 1910 les installations nouvelles ou rénovées adoptent très majoritairement l'électricité.

Pour l'éclairage public, le combat a été plus long, le gaz faisant preuve d'une remarquable résistance et demeurant prépondérant jusque vers 1925. Les gaziers, conscients du poids de ce domaine dans leur activité et leurs résultats, actionnèrent tous les leviers à leur disposition :

  • le levier technologique, un peu moins sollicité durant les années sans concurrence, à l'instar de l'accélération des progrès en matière de brûleurs ( dits « becs d'éclairage » ). Se développèrent alors les becs à récupération de chaleur, car la luminosité de la flamme augmente avec sa température, les becs renversés pour éliminer l'ombre portée de l'appareil lui-même, les becs à manchon incandescent, dont le plus accompli fut le bec Auer, du nom de son  inventeur : le Comte Auer von Welsbach, les allumeurs-extincteurs automatiques qui réduisent drastiquement les coûts d'exploitation.

 

  • la diversification des appareils, pouvant comprendre jusqu'à 12 flammes, et de leurs systèmes  d'alimentation (tel le gaz surpressé ), permettant de tirer le meilleur profit en matière d'éclairement , d'ambiance et de coûts des avançées technologiques précédentes et donc de continuer à séduire les autorités décisionnaires.

 

  • l'exploitation des grandes occasions, telles les expositions universelles qui émaillent la  deuxième moitié du XIXe siècle ( 1855, 1867,1878, 1889, 1900 ), où le public découvre les premières offres du confort moderne par le gaz, traitées avec un double souci d'utilité et d'esthétique, mais aussi les splendeurs de l'éclairage au gaz de l'ensemble de l'exposition de 1889 qui populariseront l'expression « Paris ville lumière ».

 

    Quoi qu'il en soit, cette belle et longue résistance de l'éclairage public au gaz a été d'un grand secours pour les compagnies gazières, qui eurent ainsi le temps d'approfondir les marchés de la cuisine, de l'eau chaude et du chauffage individuel et collectif, mais aussi d'organiser une pénétration significative du gaz dans l'industrie, tant pour les usages thermiques que pour des process spécifiques. Nous reviendrons dans un prochain article sur les démarches marketing, souvent innovantes et astucieuses des gaziers, pendant cette période de confrontation.

 
 
 

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3 - Les développements initiaux

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Dans les années 1830-1840 les villes de France les plus importantes sont desservies en gaz et le gros de l'extension aux villes et localités plus modestes durera encore une bonne trentaine d'années. Les concessions initiales sont le plus souvent accordées à de petits entrepreneurs locaux, voire à des personnages capables de mobiliser les capitaux nécessaires à l'édification de l'usine initiale et des réseaux indispensables. Cependant, les dépenses à consentir dès l'abord sont considérables et, souvent, les revenus espérés tardent à venir, obligeant les premiers concessionnaires à se regrouper ou à vendre. Ceci contribuera à la constitution de groupes industriels côtés en bourse, dont une petite dizaine particulièrement attractifs.
 
A Paris, l'évolution générale est comparable : vingt ans de concurrence entre les six sociétés se partageant la desserte de la ville ont fragilisé les concessionnaires et sérieusement écorné les bénéfices. Ces derniers, cependant, se redressent au début des années 1840 et, enfin, arrive le temps des dividendes. La ville entend bien prendre sa part de cette nouvelle prospérité et s'en donne les moyens. Dès 1842 :
 
  • Une redevance annuelle d'occupation des voies publiques de 200.000 francs est imposée  à chaque concessionnaire  parisien ;
  • Les prix de vente du gaz sont réglementés et plafonnés ;
  • Le plafonnement est particulièrement sévère pour le prix de vente à la ville, notamment pour l'éclairage public ; ce prix est le strict prix de revient, en excluant le coût du capital ;
  • Tout annonce donc un contrôle sévère des comptes des sociétés par la ville ;
  • Les modalités de transfert de la propriété des réseaux à la ville à l'expiration de la concession.
 

Tout cela à coups d'arrêtés, de plaintes, de recours, de travaux de commissions qui firent le spectacle pendant plus de dix ans.

Les concessions parisiennes arrivent à échéance fin 1854 et chacun des six concessionnaires propose à la ville le même contrat qui est signé le 10 juillet 1855 pour une durée de concession de 50 ans. Les six concessionnaires fusionnent alors pour constituer la Compagnie Parisienne d'Eclairage et de Chauffage par le Gaz, à laquelle viennent immédiatement s'agréger les frères Pereire avec un apport en capital de près de 30%.

Cette longue période de 50 ans promise à la Compagnie Parisienne sera respectée, mais ne sera pas « un long fleuve tranquille ».